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“Camel Milk autour du bassin méditerranéen“

Camel Milk autour du bassin méditerranéen

Le lait de chamelle, un produit noble et une opportunité économique

 

Le gérant de l’entreprise « Tidjane » spécialisée dans la production de lait de chamelle et ses dérivés, établie dans la wilaya de Oued Souf, se félicite des résultats de sa collaboration en tant que partenaire économique dans le projet de coopération internationale de recherche appelé Camel Milk autour du bassin méditerranéen, mené pour sa partie algérienne par l’Université du « chahid Hamma Lakhdar » de Oued Souf. «Grâce à ce projet, entre-autres, nous avons réussi à augmenter le nombre de chamelles. Ce programme qui a duré trois ans nous a surtout aidés sur l’aspect technique par exemple, à travers des ateliers de fabrication de fromage et de lait écrémé. Nous avons développé également la technique de pasteurisation, le lait pasteurisé de la marque Tidjane est de très bonne qualité actuellement », assure Tidjani Zeghouane qui cite également la mise en place d’une stratégie de communication et de marketing.

Créée en 2016, l’entreprise comporte une ferme d’élevage de chameaux et une laiterie spécialisée dans la production de lait de chamelle et ses dérivés (lait pasteurisé, lait écrémé, fromage et savon). Elle a vu son cheptel de chamelles laitières passer de 8 à 105 têtes, entre-autres, grâce à ses partenariats scientifiques avec des partenaires étrangers spécialisés dans le domaine. Cette amélioration est confirmée par la vétérinaire de la direction des services agricoles de la wilaya et représentante du projet Camel Milk au nom de l’Université de Oued Souf, Amira Narimène Aouacheria.  «Le partenaire économique du projet a augmenté le volume de son cheptel et de ses chamelles laitières et l’inspection vétérinaire fait le suivi sanitaire des animaux et du lait à partir de la mamelle jusqu’au consommateur. Le laboratoire de lutte contre la fraude effectue des analyses périodiques du lait et de ses dérivés particulièrement au niveau de la laiterie », assure la vétérinaire.

L’Algérie détient la moitié de la population cameline du bassin méditerranéen

Camel Milk autour du bassin méditerranéen est un projet de recherche scientifique qui s’inscrit dans le cadre du Programme de partenariat pour la recherche et l’innovation dans la région méditerranéenne (PRIMA), concernant les systèmes alimentaires et les ressources en eau dans le bassin méditerranéen. Coordonné par la chercheuse espagnole Marta Garron Gomez de l’institut IRTA, le projet a débuté en juin 2019 et s’est clôturé le 22 novembre 2022 à Oued Souf en présence des représentants des huit pays partenaires (Algérie, Espagne, Italie, Turquie, France, Kazakhstan, EAU, Croatie) et autres participants dont des américains venus partager leurs expériences. Les objectifs tracés par ce programme sont :  la promotion de la production, la transformation et la consommation de lait de chamelle et de produits laitiers de chamelle dans la région méditerranéenne en dotant les petits exploitants et les Petites et Moyennes Entreprises de ce secteur des outils nécessaires pour assurer une augmentation de la compétitivité ; aider à la croissance des entreprises et à la création d’emplois sur les deux rives de la Méditerranée.

Durant la cérémonie de clôture du projet organisée à la salle de conférences de la Gazelle d’or à Oued Souf, les conférenciers ont présenté les états des lieux et les perspectives de la filière de lait de chamelle à travers les études qu’ils ont menées. Selon l’expert international Bernard Faye qui relève l’absence de données exhaustives et coordonnées sur le nombre de chameaux ou la quantité de lait produite ou consommée dans le monde, les statistiques disponibles au niveau de la FAO pour l’année 2020 font état de l’existence de 1.061.500 têtes dans le pourtour du bassin méditerranéen (dont près de la moitié soit 435 000 en Algérie) ce qui représenterait 2,75% de la population mondiale.  D’après ces mêmes statistiques, la production totale de lait dans cette partie du monde serait de 28 000 tonnes alors que les experts l’estiment à plus de 215 000. La quantité produite en Algérie avoisinerait les 15 000 tonnes selon l’organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et 88 000 d’après les experts.

Une production mondiale en nette évolution

Toutefois, malgré ce décalage dans les données statistiques, Bernard Faye relève un taux de croissance significatif de la production de cet aliment entre 1961 et 2020. Ce taux établi à 6,7% classe l’évolution de la production du lait de chamelle dans le monde en seconde position, après celui du buffle (10,9%) et loin devant le lait de vache à 2,1%.  Mais de cette production mondiale, le pourtour méditerranéen n’enregistre que le faible pourcentage de 0,8%. L’expert affirme que le lait de chamelle n’arrivera jamais à concurrencer celui de la vache en termes de commercialisation puisqu’une chamelle laitière ne produit dans les meilleurs des cas que 4 litres par jour contre 28 litres pour la vache durant les périodes de lactation. Il recommande toutefois de lancer une série d’actions et de projets de recherche scientifique pour l’introduction de ce lait sur le marché (particulièrement celui de l’Union européenne) tels que : la modernisation du système de production, la sélection des chamelles, l’utilisation du transfert d’embryons, la diversification des produits ainsi que l’adaptation de la réglementation. Il faut savoir que l’introduction du lait de chamelle comme aliment dans la réglementation de l’Union européenne ne s’est faite que récemment. En effet, les principaux défis que rencontre la filière lait de chamelle pour que cet aliment puisse devenir un produit de large consommation ont trait d’abord à l’amélioration de la qualité du cheptel et du lait lui-même, ensuite à la modernisation et l’extension de la population cameline et le rapprochement des fermes d’élevage des centres urbains, ainsi qu’à la mise en conformité de ce produit avec les normes internationales de commercialisation. Sur ce dernier point, les différents spécialistes intervenus à la conférence de clôture du projet Camel Milk révèlent que parmi les pays du pourtour méditerranéen, seules les Emirats Arabes Unis ont le droit de commercialiser le lait de chamelle sur le marché européen, puisque ses producteurs ont réussi à se conformer à la règlementation de l’UE. L’autre frein à l’extension du marché de ce lait réside dans le prix du produit qui représente dans certains pays occidentaux dix fois celui du lait de vache.

Un produit traditionnel, noble et miraculeux

Mais qui a dit que le lait de chamelle devait obligatoirement remplacer celui de la vache sur les marchés régionaux ou mondiaux ? Peut-on mettre les deux produits sur le même pied d’égalité ?

Sur ces questions, le participant Italien, Dario Dongo chef d’entreprise (FARE, Italy) est tranchant. « Le lait de chamelle est un superaliment, un produit miraculeux et un traitement de prévention pour certaines maladies comme le diabète, les allergies, les problèmes digestifs, l’anémie, l’autisme et d’autres encore. Il est vrai que les études scientifiques consacrées sont rares, mais elles apportent des preuves du bienfait de cet aliment, entre-autres, sur la facilité de digestion grâce à la consistance de ses protéines qui en font un lait proche de celui de l’humain », insiste-t-il.

Les vertus du lait de chamelle

Si on devait comparer la valeur nutritionnelle du lait de chamelle avec celui de la vache, le résultat est juste incroyable. Le lait de chamelle contient un fort pourcentage de protéines à potentiel antimicrobien élevé, il est plus faible en lactose ce qui réduit les problèmes de digestion. Il est cependant plus riche en potassium, magnésium, fer, cuivre, manganèse, sodium et zinc. Le taux de cholestérol est inférieur et contient trois fois plus de vitamine C, 10 fois plus de fer, et il est également riche en acides gras saturés et en vitamine B. il contient plus de vitamines et moins de matières grasses que le lait de vache ce qui en fait un produit idéal pour les intolérants ou allergiques au lactose.

Pour ce qui est de ses vertus, certaines études scientifiques concluent que ce lait renforce le système immunitaire, prévient et soulage les maladies de type auto-immune dont la rectocolite hémorragique et la maladie de Crohn, exerce un pouvoir curatif sur le diabète (sous certaines conditions), et apporte une aide importante dans le traitement de l’autisme, de la maladie de Parkinson ou d’Alzheimer. Il favorise la digestion et soulage les problèmes allergiques. « C’est un superaliment, un produit miraculeux » s’extasie Dario Dango en préconisant de présenter le lait de chamelle non pas comme un substitut ou rival du lait de vache mais comme un produit traditionnel et noble afin de justifier sa cherté sur les marchés.

Algérie, le gros potentiel

De son côté, la copropriétaire et PDG de l’entreprise croate Genius Consulting, Monika Kordic, regrette que seules les Emirats Arabes Unis ont réussi à se conformer aux conditions de commercialisation et d’exportation du lait de chamelle vers l’Europe. « L’Algérie a tous les avantages pour décrocher la reconnaissance de son produit : c’est le plus grand pays d’Afrique en termes de superficie, elle possède l’une des populations camelines les plus importantes en Afrique et la plus importante dans le pourtour méditerranéen, elle a atteint le niveau de développement économique nécessaire. Il lui faut juste établir un système de traçabilité de son produit », recommande-t-elle.

Du côté algérien, la dynamique semble déclenchée. « Pour ce qui est de la réglementation, l’université de Oued Souf a déposé un dossier d’indication géographique pour une marque de qualité (un label) au niveau du ministère de l’agriculture. Le dossier est en cours d’étude », informe Amira Narimène Aouacheria. Elle assure que l’étude de marché menée par l’équipe internationale de recherche au niveau local et national a démontré que ce produit, connu par tous, est surtout prisé par une certaine frange de la société qui connait ses bienfaits naturels sur la santé et le traitement de certaines maladies.

Concernant le développement de cette filière dans le pays, la vétérinaire optimiste déclare que le programme Camel Milk a été réalisé seulement au niveau d’une seule ferme pilote, la laiterie Tidjane. « C’est maintenant que le travail commence réellement car nous allons publier ce que nous avons appris dans tous les domaines et il faudra appliquer ces résultats dans les autres fermes du territoire national », conclut-elle.

Finalement, Camel Milk autour du bassin méditerranéen est un projet de recherche qui a un impact socio-économique certain. Par les vertus de ce produit et les avantages commerciaux qu’il représente au regard de son prix de vente élevé dans les pays européens, l’investissement dans cette filière est une opportunité évidente. Seulement, avant de s’engager pleinement dans cette dynamique de production, il est primordial de définir clairement la finalité du produit, ce qui déterminera la stratégie à mettre en place. Que veut-on faire de ce lait ? Opter pour un produit de large consommation ce qui induirait l’obligation d’améliorer la qualité des animaux donc opérer des modifications génétiques et de se lancer dans l’élevage intensif et s’engager également dans l’amélioration du lait pour satisfaire aux goûts du consommateur ou choisir l’option « produit noble » pour préserver ses vertus et protéger le patrimoine animalier ? Tel est le plus grand défi.